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Visite de Nassogne par un journaliste en 1957

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Veuillez excuser la qualité des images, elles sont tirées d'une vieille photocopie de l'article.

1. N’est-ce pas que c’est charmant de recevoir ainsi les visiteurs ? On se sent tout de suite en pays ami. On a l’impression que tout le village va vous faire bon accueil.

Les toits sont d’ardoise et les maisons sont bleues (?). Là-bas, j’entends le coin-coin d’un lointain canard. À 10 mètres de moi, une alouette sort brusquement d’une touffe de graminées, file vers le ciel et chante, chante, chante pendant qu’elle grimpe toujours plus haut.

Je m’avance. D’après les renseignements que j’ai reçus, cette grosse maison dans les arbres doit être celle du notaire Poncelet, le bourgmestre du village. Mais adressons-nous plutôt à ce cultivateur qui vient d’engager ses chevaux sur la route au sortir de champ de betteraves.

2. — Je vous demande pardon, monsieur, ai-je demandé au cultivateur, pourriez-vous me dire si…

— Ik ben niet van hier!

— Ik spreek geen Frans… Pas parler français… Vous me demander en flamand.

Curieux, vraiment curieux ! La première personne que je rencontre à Nassogne est un Flamand. Peut-être une partie du village est-elle occupée par des Flamands, comme cela se fait dans certaines régions du brabant ?

Je fais appel à toutes mes connaissances et à tous les souvenirs des cours du collège pour interroger mon cultivateur. Et je finis d’ailleurs par très bien m’en sortir.

— Je suis le seul flamand du village, me dit l’homme.

— Vous êtes installé ici depuis peu ?

— Oh non ! Mon fils André que vous voyez dans le champ, là-bas, et qui vient de rentrer du service militaire, parle très couramment le français. Mes autres enfants aussi, puisqu’ils vont à l’école du village.

— Comment se fait-il que vous soyez venu ici ?

— Je suis de Maldegem, près de Malines. Autour de chez moi, il n’y avait pas une ferme à louer. Alors j’ai émigré. Mais je me sens bien ici, vous savez, bien que pour un paysan, la vie y soit beaucoup plus dure que chez moi. C’est surtout une question de climat.

— Vous avez plusieurs enfants ?

— Cinq enfants : deux grands garçons de 20 et 18 ans. Deux autres de 16 et 12 ans et une fille de 14 ans.

— Vous vous plaisez dans ce coin ?

— Il faut bien : j’ai une ferme de 20 hectares. Cela fait beaucoup de travail. Et 20 têtes de bétail. Ah, vous autres gens de la ville, vous ne savez pas ce que c’est !

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3. Monsieur Mouton est secrétaire communal. C’est lui qui m’a conduit à travers tout le village, qui m’a présenté à des tas de gens, qui m’a expliqué toute la vie de Nassogne et le secret de sa prospérité.

— J’ai moi-même cinq gosses, me dit-il. L’aîné est un garçon qui a 16 ans et est en pension à Saint-Remacle, à Marche. Le deuxième est une fille, Marie-Rose. Elle est en pension à Virton chez les sœurs. Le troisième s’appelle Gérard. Il a 13 ans et est en pension à Virton au collège Saint-Joseph.

— Cela fait beaucoup de pensionnaires.

— Oui, hélas. C’est le grand handicap de la vie en Ardenne. Dès qu’un enfant veut dépasser le stade de l’école primaire, il faut l’envoyer dans un internat. Et, même si on obtient souvent des conditions spéciales comme famille nombreuse, cela revient tout de même cher ! Regardez : Jean-François, qui a 11 ans, et a terminé son école primaire, a été classé premier au concours cantonal. J’aurai voulu le mettre à Virton dès cette année. Mais cela ne m’a pas été possible.

— Mais pourquoi ?

— Je ne suis que secrétaire communal. Et j’ai beau faire l’impossible pour trouver ici et là d’autres petites sources de revenus, je ne puis faire de miracle. Jean-François est donc resté au village un an de plus. Dès la saison prochaine, il sera aussi interne. Il ne m’en restera plus qu’un à la maison, mon petit Raphaël, qui a sept ans.

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4. C’est Monsieur Mouton qui m’a conduit à l’école où Sœur Louis de Gonzague m’a très aimablement reçu.

— Auparavant, m’explique Monsieur Mouton, les primes de naissance ont été insignifiantes. Dès que le conseil communal a été changé, en 1947, des mesures ont été prises. Je crois que nous sommes la commune belge qui attribue les plus fortes primes de naissance.

— Pouvez-vous m’en fixer le taux ?

— Bien entendu : 500 francs pour le premier enfant, 1000 francs pour le deuxième, 1500 francs pour le troisième, 2000 francs pour le quatrième, etc. Dernièrement, une famille a eu son 12e enfant. Elle s’est vu attribuer une prime de 6000 francs.

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5. Ce petit garçon s’appelle Jean-Paul (Choque ?) et il a six ans. Dans la classe de Sœur Louis de Gonzague, il est en train de mettre la dernière main à son chef-d’œuvre de peinture.

— Nous devons beaucoup au bourgmestre, le notaire Poncelet, m’explique le secrétaire communal. Il est le véritable animateur de ce village. Il a réussi, par exemple, à persuader la province de Luxembourg de faire installer sur le territoire de la commune un grand sanatorium mixte qui sera géré par Caritas Catholica.

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6. Les petites filles de Nassogne ont l’air d’apprendre à faire la cuisine dès l’âge le plus tendre. Cette photo représente un coin de l’école gardienne, qui est admirablement aménagé. J’ai été fort surpris de voir avec quel soin et quel goût cette école avait été arrangée pour la plus grande joie des petites. Là aussi, Nassogne est un village modèle, un village pilote.

— Savez-vous, me dit Monsieur Mouton, que nous avons un syndicat d’initiative très actif qui a réussi à créer un réseau de 52 kilomètres de sentiers touristiques ?

— Ce doit être très agréable, l’été, d’habiter ici. Mais est-ce qu’en hiver ?

— Nous avons des fêtes. Un groupe du village, « Li Vi Nassogne », s’en occupe, ainsi que notre Fanfare Royale et notre dramatique qui porte le nom du saint patron du village : Saint Monon. Il y a deux groupes : un pour les hommes et l’autre pour les femmes. Beaucoup le regrettent, mais nous nous inclinons tous, puisque c’est la règle que, depuis toujours dans cette partie du pays, l’Évêché nous a demandé de respecter.

— Il y a une chose qui m’a frappé en arrivant ici : le grand nombre de maisons fleuries.

— C’est le résultat de l’activité de notre cercle horticole qui s’appelle « Le Sabot Fleuri ». Cette société est très vivante et ses réunions sont suivies par la grande foule. Grâce à elle le village prend, dès les premiers beaux jours, un aspect coquet qui réjouit les yeux des étrangers comme des habitants.

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7. Si Nassogne compte quatre entrepreneurs de travaux publics qui occupent une centaine d’ouvriers, elle a vu naître et prospérer deux boisselleries, deux scieries et deux fabriques de jouets, sans compter les artisans du bois comme ce fabricant de « souvenirs » qui vend ses produits à travers toute la Belgique.

À la « Myrgam », c’est une femme qui dirige l’entreprise. Il s’agit de l’une des deux fabriques de jouets.

— Pour tout le village, je suis « Marguerite », m’a dit cette directrice aux cheveux blancs. Et vous voyez que chez nous on ne chôme ne pas. J’emploie une bonne dizaine d’ouvriers, et les scieries sont heureuses de nous voir prospérer parce que nous leur achetons les petits morceaux de bois que, sans nous, elles devraient considérer comme des déchets.

— Vous êtes-vous spécialisés dans un certain style ?

— Non : nous fabriquons tous les jouets en bois, et cela va du bilboquet aux jeux de puzzle en passant par les chevaux de bois et les chariots.

— Je vois aussi des petits tabourets, des pupitres, des bouliers compteurs

J’ai fait le tour de l’atelier et j’ai questionné les ouvriers.

— Ceci est une scie à ruban pour dégrossir le bois, m’a dit le premier. Plus loin, vous voyez des raboteuses, des découpeuses et des ponceuses. Nous avons fait, la semaine dernière, 3000 petits chariots. D’autres fois, il faut fabriquer d’urgence des balancettes ou des parcs d’enfants.

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8. Ce garçon vient chercher à la fabrique de jouets de « Marguerite » de quoi bien employer ses soirées et celles de ses parents. En effet, ce sont les gens du village qui assemble les jouets, et cela signifie que beaucoup de villageois trouvent là une jolie source de profit.

— Vous ne fabriquez que des jouets, ai-je demandé à Marguerite ?

— Pratiquement, oui. Mais d’autres objets sortent de nos ateliers. Des meubles de jardin, par exemple : tables, chaises, transatlantiques et pliants. La plus grosse partie des commandes a quand même trait à des tableaux noirs, des cubes ou des cousettes, sans compter les berceaux, les tracteurs pour enfants, les charrettes, les ponts tournants, etc.

— Est-ce que le goût des enfants varie, d’une année à l’autre ?

— Je l’ignore. Mais ce que je sais, c’est que pour satisfaire les grands magasins, nos principaux clients, nous devons créer chaque année une centaine de modèles nouveaux. C’est mon gendre qui les dessine.

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9. La cheminée de la salle de restaurant de l’Hôtel de la Forêt est bien sympathique. La propriétaire s’appelle Mme Gabrielle Monfort et elle dirige sa maison de main de maître.

— J’ai repris ceci en 1949, me dit-elle, et peu de temps après j’ai dû louer une annexe pour mon hôtel. C’est vous dire que mon initiative portait immédiatement de bons fruits.

— Vous êtes le seul hôtel de Nassogne ?

— Oui. Nous pouvons recevoir une cinquantaine de pensionnaires. Mais cela ne suffit pas, car il y a ici en moyenne 400 à 500 touristes en permanence pendant les vacances.

— Pour un village de 1000 habitants ? Mais où les met-on ?

— Chez les particuliers. Le village est très bien organisé. Presque toutes les familles cèdent une ou deux chambres et certaines louent une partie de leur maison pendant l’été. Cela leur procure quelques billets chaque saison et la chose n’est pas négligeable.

— Vous fermez en hiver ?

— Il n’en est pas question ! Nous avons des week-ends très chargés, même au cœur de l’hiver. À l’époque des fêtes de fin d’année, les clients ne manquent pas, je vous jure. Et il ne faut pas oublier l’époque de la chasse.

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10. Devant cette ferme, j’ai admiré ce splendide tas de fumier. Et cela m’a rappelé une anecdote que des amis ardennais m’ont racontée naguère. Ils m’ont dit qu’à la fête du village qu’ils habitent, les jeunes des alentours viennent boire et viennent danser. Ils viennent aussi, mine de rien, de voir s’il n’y aurait pas dans les parages « un beau parti ».

Comment font les jeunes cultivateurs pour savoir si telle jeune fille avec qui ils viennent de danser a des chances d’avoir une dot convenable ? C’est bien simple : ils s’arrangent pour être invités à manger à la ferme la tarte ou le classique jambon. Et ils regardent avec soin quelle allure a le tas de fumier.

Si le tas de fumier est épais, large et long, c’est qu’il y a beaucoup de vaches l’étable. Vous avez saisi la finesse ?

Si j’apprends qu’il y a une fille à marier dans cette ferme, j’alerterai mes amis célibataires, car le tas de fumier a de nobles proportions.

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11. On n’a pas quitté les dernières maisons du village que déjà la forêt commence. Cette forêt est la véritable nourricière de Nassogne. Elle fournit le bois des scieries, le bois des fabriques de jouets, le bois de chauffage et l’argent des primes de toutes sortes. Elle permet aussi aux touristes de saines évasions. Elle offre aux plus fins fusils de Belgique des terrains de chasse remarquables.

Le cerf qu’a saisi mon objectif vient de perdre ses « dix cors » magnifiques. L’animal, qui vit dans un enclos, ne craint guère les humains et vient manger dans la main des promeneurs le foin que ceux-ci lui tendent.

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12. Nous avons eu l’impression que tout le village nous saluait en arrivant à Nassogne. C’est une impression du même genre que je ressens en quittant ce site charmant où l’on rêve de pouvoir flâner plus longuement tant l’air y est vif, tant le courage des habitants pour défendre leur coin de terre touche le cœur.

On ne dit pas adieu à Nassogne. L’accueil y est trop cordial et le paysage trop beau.

Le journal « La Semaine » y retournera, car il a appris que, dans la forêt, se cachaient mille secrets de bêtes sauvages. Il serait intéressant de les découvrir pour ses lecteurs. Pourrait être plus clair : dans un prochain numéro de « La Semaine », nous retournerons ensemble Nassogne pour nous promener dans le parc à gibier et y surprendre cerfs et biches.

Commentaires

  • Des archives pareilles, on en redemande !
    Merci Alain !

  • Merci pour ce document intéressant reprenant les activités disparues de NASSOGNE. Je suis particulièrement ému par la partie de reportage sur ma grand mère « Marguerite »

  • quel article! ça nous ramène bien loin mais c'est agréable de se remémorer de cette façon. L'flâmin, jules mouton, soeur Louis , toute une époque...
    merci

  • Alain bonjour ,quelle belle découverte, beau sujet et heureux de pouvoir lire un article si ancien. un tout grand merci

  • ces très bien et très beau c'est a conserver

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