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L'enseignement primaire et les écoles à Nassogne de 1820 à 1920. (1e partie)

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Scan2.jpgDans le livre "Saint-Hubert d'Ardenne - Cahiers d'histoire - Tome IV" prêté par Genevière Guiot (on y parle de son grand-père), j'ai trouvé cet article très bien fait de Jean Duchamps à propos des écoles primaires à Nassogne entre 1820 et 1920.

Je vous en fait profiter.

L’ENSEIGNEMENT PRIMAIRE ET LES ECOLES A NASSOGNE DE 1820 A 1920

 Par Jean Duchamps[1], Membre de « Terres et Abbayes » (1980)

Située entre l’Ardenne et la Famenne, à la lisière d’une admirable forêt, dominant un ensemble de collines et de vallées qui se succèdent en courbes harmonieuses, la bourgade de Nassogne est une des plus anciennes localités de la province de Luxembourg. La voie romaine Bavai-Trèves la traversait de part en part et six édits y furent promulgués en 372 par l’empereur Valentinien 1er. Saint Monon y subit le martyre ; l’écrivain Adrien de Prémorel et le peintre Richard Heintz en firent leur pays de prédilection. Pendant plus de mille ans, par son chapitre de chanoines, elle a vécu en union étroite avec l’abbaye de Saint-Hubert.

En 1879, une loi scolaire a cruellement blessé le pays tout entier et Nassogne n’y a pas échappé. Cette loi fut à l’origine d’un renouveau incontestable dans l’enseignement. A l’occasion de ce centième anniversaire, il est bon de connaître l’évolution de cet enseignement primaire et les nombreuses vicissitudes dont il a si souvent été l’objet[2].

1820-1830 : Premiers essais

Lorsque, le 20 juin 1814, notre pays passa sous le régime hollandais, l’enseignement se présentait dans un état lamentable : la grande misère du peuple, due aux multiples réquisitions et à l’occupation sans cesse renouvelée de la région par les armées, les maigres finances de la commune ainsi que le manque de locaux scolaires convenables n’avaient nullement contribué au développement d’une instruction primaire appropriée aux besoins des enfants ; ceux-ci, en grande partie issus de familles indigentes, ne fréquentaient l’école que pendant la mauvaise saison ; l’été, ils devaient garder les troupeaux ou travailler dans les champs avec leurs parents. Seules, les familles plus aisées pouvaient se permettre de faire donner à leurs fils et à leurs filles les rudiments d’une instruction devenue, depuis la Révolution française, de plus en plus nécessaire.

Et pourtant, malgré les grosses difficultés financières, le conseil municipal décidait, le 12 mai 1821 : « de vendre les genêts croissant dans l’aisance communale dite Inzemoini, afin de pouvoir faire bâtir une nouvelle école »[3].

Le 3 septembre 1821, la commune de Nassogne décidait de faire bâtir une nouvelle salle d’école :

« huit aunes des Pays-Bas de longueur sur six de largeur et trois de hauteur sous les poutres, l’ancienne étant trop petite et malsaine. La commune contient environ cent vingt enfants dans l’âge de fréquenter l’école entre lesquels il se trouve à peu près un tiers d’indigents.

Pour subvenir au payement de l’écolage desdits indigents, qui ne fréquentent ordinairement l’école que quatre mois de l’année, la commune s’oblige à payer à l’instituteur une somme de quarante-sept florins vingt cinq cents annuellement, et une personne charitable qui n’aime pas d’être nommée offre dix-huit florins nonante cents, en outre la commune fournira à l’instituteur un beau petit logement tenant à la nouvelle salle d’école, avec un jardin, le tout situé dans un local bien aéré et très sain, et en outre le chauffage suffisant ; chaque élève non indigent paiera pour frais d’écolage quarante-sept cents par mois pour ceux qui écrivent et vingt-trois cents et demi pour ceux qui n’écrivent pas »[4] .

La commune, aidée d’un subside de 500 florins lui accordé par le gouvernement des Pays-Bas, fit construire cette école en 1822[5]. Outre l’école, il y avait l’habitation de l’instituteur et la maison communale[6]. Elle était située à gauche de la chapelle Saint-Monon et fut abattue en 1918 par les établissements Joseph Benoit-Grodos[7].

Le 22 juin 1822, la commune nommait comme instituteur le sieur Tombeur Lambert-Joseph[8].

En vertu de l’ordonnance de la députation des Etats du 2 avril 1822, relative à l’organisation des écoles primaires, les rétributions dues par les élèves non indigents étaient fixées chaque année en fonction du nombre d’enfants et de l’importance de la somme votée au budget pour l’instruction gratuite des indigents.

En 1826, une dotation royale de 100 florins fut accordée à l’enseignement, dotation qui se continuera chaque année et que l’on retrouvera encore en 1832 sous le gouvernement belge[9].

Sous l’occupation hollandaise, l’Etat se réservait la direction exclusive de l’enseignement public. Il ne pouvait être institué aucun établissement d’instruction primaire sans l’autorisation préalable de l’autorité communale et sans l’avis favorable de l’inspection et de la commission provinciale d’instruction.

De plus, pour exercer les fonctions d’instituteur, il fallait être pourvu du brevet de capacité délivré par la susdite commission et officiellement nommé, à la suite d’un concours, par l’autorité compétente.

Les branches enseignées étaient : la lecture, l’écriture, le calcul, la grammaire et l’orthographe usuelle. Quant au cours de religion, il était donné exclusivement par le curé de la paroisse, l’instituteur n’ayant dans ses attributions que la partie scientifique. Le clergé n’avait aucune autorité dans l’école et l’enseignement religieux n’était pas à charge de l’instituteur. Ces dispositions, issues de la loi du 3 avril 1806, étaient toujours en vigueur et visaient à protéger et à développer chez l’enfant les vertus chrétiennes et sociales. Elles furent toujours respectées, sans protestation, jusqu’en 1830, par l’instituteur et le clergé. De plus, des mesures avaient été prises pour que les écoliers ne soient pas privés d’instruction religieuse (Art. 22 et 23 du règlement de 1806)[10].

L’enseignement, grâce aux soins du gouvernement et aux conseils de l’inspection, fut bientôt à la hauteur des progrès de l’époque ; malheureusement, il y eut vite pénurie d’écoles et la commune de Nassogne sera sous peu obligée de créer une école pour les filles.

Le 17 juin 1924, le conseil communal décidait d’organiser un cours d’été à raison de deux heures chaque soir pour les élèves qui le fréquenteront[11].

1830-1842 : Crise d’indifférence

Déjà, dès 1828, les autorités communales eurent à se plaindre de la conduite de l’instituteur :

« de l’insouciance qu’il apporte pour fermer les persiennes de ladite école lorsqu’il a fini les classes, cause à laquelle elles gisent très souvent par terre, ainsi que pour toutes autres choses qui pourraient manquer autour et dans l’intérieur de la susdite-école dont il nous donnerait bien connaissance. Mais non ! Sa plus grande préoccupation n’est que de venir s’informer pour et comment il percevra le montant de son salaire »[12].

En 1832, la situation de l’enseignement s’était encore aggravée : le même instituteur :

« au lieu d’un jour de congé par semaine qu’il lui était permis de donner aux élèves, il est arrivé souvent qu’il ne tenait l’école que deux ou trois jours ; le jour qu’il tenait l’école, on ne commençait les leçons qu’à neuf, souvent à dix heures du matin, tandis que l’ouverture de l’école devait avoir lieu à huit heures et n’être fermée qu’à midi, que la même chose se répétait pour les leçons de l’après-midi ; [il] fermait son école pour se livrer à ses affaires et travaux domestiques ; ou s’il ne renvoyait point ouvertement les élèves, son peu d’assiduité dégoûtait tellement les parents, qu’ils empêchaient leurs enfants de se rendre dans un lieu qui n’était plus pour eux que l’occasion de se rassembler pour se livrer à des jeux et à toutes espèces de libertinages »[13].

Voyant d’ailleurs « le peu ou plutôt le point de progrès que l’on remarque parmi les élèves qui ont fréquenté les dernières années », le conseil décide de révoquer l’instituteur Tombeur[14]  et de le remplacer par le sieur Pierre-Joseph Schombourg, « instituteur actuel de Montgauthier, qui se présente comme tel pour Nassogne »[15].

Dès 1830, après le vote de la constitution belge décrétant par son article 17 la liberté d’enseignement et se prononçant uniquement en faveur du maintien des encouragements à l’instruction élémentaire[16], l’Etat se déchargeait de la direction de l’enseignement, laissant ce soin aux communes et aux particuliers (apparition des premières écoles privées).

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 C’est à l’emplacement du bâtiment de la 1re gendarmerie que se trouvait l’ancienne école de Nassogne avant 1822. (Carte d’avant 1914).

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 A gauche de la chapelle Saint-Monon, l’école construite en 1822 et démolie en 1918 (carte de vers 1900)

A cette époque, aucune loi organique ne régissait l’enseignement primaire. Sur 5.200 écoles existant vers 1840, la moitié était due à l’initiative religieuse. Mal rétribués, les instituteurs faisaient la classe pendant les loisirs que leur laissait leur métier de maçon ou de porcher[17].

La commune de Nassogne, qui comptait alors environ 850 habitants, avait 160 enfants de 6 à 14 ans en âge de fréquenter l’école ; l’hiver, l’unique école, qui était mixte, devait recevoir 130 élèves ; les abords du local de classe étaient très défectueux : pas de latrines, pas de préau ni de cour de récréation ; dans le local, fort mal éclairé, pour tout mobilier, quelques bancs-pupitres sans cases, façonnés grossièrement, des escabeaux pour les plus petits, un tableau noir de dimensions très restreintes, une table et une chaise.

L’outillage didactique était pour ainsi dire nul : il n’existait ni cartes, ni sphères, ni tableaux d’histoire, ni collections de poids et mesures ; seulement quelques pancartes destinées à la lecture élémentaire ornaient les murs de l’école.

D’octobre à avril, la classe était ouverte tous les jours, sauf le jeudi après-midi, de 8 h à 12 h et de 1 h à 4 h. D’avril à septembre, de 11 h à 12 h le matin et de 1 h à 3 h l’après-midi. De plus, les indigents ne pouvaient fréquenter la classe que pendant 6 mois à partir d’octobre. Bien souvent, l’école était fermée pour les causes les plus futiles ou les plus ridicules.

Aucun programme d’études : le maître était seul juge de ce qu’il fallait enseigner et des moyens à employer pour transmettre l’instruction. Comme méthode d’enseignement, il fallait apprendre tout par cœur, sans intelligence et suivre une déplorable routine qui ne favorisait nullement le développement des facultés de l’enfant.

La discipline était exercée de façon pitoyable : les récompenses n’existaient pas ; on ne connaissait que les punitions comme seul moyen d’action sur les élèves. L’instituteur avait recours, sans distinction de cas, à toutes les odieuses ressources de la force brutale ou de l’humiliation qui ne pouvaient engendrer que la terreur et l’abattement physique et moral chez ces pauvres victimes.

Quant à l’enseignement religieux, qui était toujours donné par les ministres du Culte, les élèves étudiaient de mémoire le petit et le grand catéchisme ; la morale était donnée par l’instituteur, mais pas une morale pratique : on faisait fi des nombreuses applications puisées dans les bonnes et les mauvaises habitudes des enfants, dans les vices et les vertus que l’on rencontre communément chez eux.

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1. Collégiale – 2. Clos du Saint Sacrement – 3. Maison ex-Choque – 4. Ecole des filles de 1846 à 1864 – 5. Ancienne maison Colle – 6. Maison qui, en 1892, deviendra le couvent.

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 Le bâtiment communal, construit en 1864 (Carte de 1925)

Pas de sentiment patriotique, pas de respect pour l’autorité, pas de bienséance. Bref, une situation lamentable où enseignement, instruction, éducation, discipline, en un mot, tout péchait par la base[18].

L’instituteur Schombourg, nommé comme on le sait en 1832, ne resta pas bien longtemps en fonctions ; il démissionna en 1837[19] et fut remplacé par Jean-Hubert Lambert. Celui-ci ne fit qu’un très bref séjour à Nassogne puisque la même année, le sieur Jacob fut admis aux fonctions d’instituteur : « étant muni d’un brevet de capacité de 3ème rang lui délivré par la commission d’instruction de la province de Luxembourg le 3 septembre 1825 »[20]. Ce dernier cessa ses activités en 1841 et fut remplacé par le sieur Robert Lambert[21] qu’on retrouve encore en 1868, année de sa démission[22].

Comme on peut le constater, la situation de l’enseignement n’était pas très encourageante, ni pour les parents ni pour les instituteurs ; les meilleurs de ceux-ci quittèrent leurs places à la recherche d’autres positions et bientôt, il n’exista plus en Belgique d’enseignement digne de ce nom. Ce triste état de choses força notre gouvernement à la rédaction d’un projet de loi organique de l’enseignement primaire qui fut voté en 1842.

1842-1879 : Période de progrès

Chacun sait qu’en 1830, la Constitution (art. 17), en proclamant la liberté de l’enseignement, en laissait la direction aux communes et aux particuliers[23]. Dans bon nombre de localités, le clergé, qui avait la confiance des populations, obtint pratiquement la direction de l’instruction primaire. Mais cette inertie communale ne pouvait continuer plus longtemps et c’est par les lois communales (30 mai 1836) et provinciales (30 avril 1836) que le gouvernement établit les bases d’une nouvelle organisation scolaire en obligeant les communes à s’en occuper activement[24]. A partir de ce moment, une autre question se posait : la liberté constitutionnelle et la liberté des cultes devaient recevoir des garanties ; il fallait trouver des bases sûres dans une formule acceptable pour chacun.

Après de nombreux échanges de correspondances et de discussions mouvementées, une loi fut enfin votée le 23 septembre 1842, loi qui garantissait les droits de chacun et donnait en même temps à tous l’assurance de la liberté religieuse.

Mais, le texte de la loi :

« tout laïcisant qu’il parut, se prêtait à des réalisations diverses. C’était manifeste aux yeux des libéraux puisqu’ils reconnaissaient qu’entre leurs mains cette loi serait “bonne”. C’est dire qu’elle pouvait devenir “mauvaise” entre des mains catholiques »[25].

D’autre part :

« La grande majorité du parti libéral parlementaire crut sans doute aux promesses qu’on lui fit au cours de la discussion, elle s’engagea, sans arrière-pensée, tandis que le clergé, libre dans ses allures, ne s’engageait à rien par ce contrat appelé, à juste titre, un contrat boiteux.
Le clergé demeure maître absolu de ses établissements où l’Etat ne peut pénétrer à aucun titre.
Si le pouvoir civil n’a absolument rien obtenu vis-à-vis des écoles congréganistes, l’Eglise en revanche a conquis la place prépondérante dans les établissements de l’Etat[26].
Il reste que cette loi fut un effort louable de conciliation. Il n’y avait pas moyen d’avoir mieux à ce moment »[27].

D’après cette loi, chaque commune devait avoir au moins une école primaire établie dans un local convenable. Toutefois, lorsqu’il était pourvu aux besoins de l’enseignement par des écoles privées, la commune pouvait être dispensée de l’obligation d’en établir une elle-même. Le programme comprenait : la religion et la morale, la lecture, l’écriture, le système métrique, le calcul, la langue française, flamande ou allemande selon les besoins des localités. L’enseignement de la religion était donné sous la direction des ministres des Cultes et ceux-ci pouvaient pénétrer à l’école à toute heure du jour. Les livres destinés à l’enseignement primaire devaient être approuvés par le gouvernement, à l’exception des livres religieux ; les livres de lecture devaient en outre être approuvés par les autorités civiles et religieuses. L’inspection civile et ecclésiastique fut établie, ainsi que les conférences d’instituteurs ; les inspecteurs diocésains et cantonaux pouvaient assister à ces conférences et porter des questions et des exercices à l’ordre du jour ; ils dirigeaient ces réunions sous le rapport de l’instruction morale et religieuse. Une commission centrale dans laquelle l’autorité ecclésiastique était représentée fut chargée d’examiner les livres et de provoquer des réformes. Cette loi produisit incontestablement d’utiles résultats quant à la diffusion de l’enseignement. Mais on lui reprochait d’asservir cet enseignement à l’autorité du clergé et elle fut battue en brèche dès les premiers temps de son existence.

A Nassogne, le conseil communal, en séance du 31 août 1845, décide qu’à partir du 1er novembre 1846, « il sera formé deux écoles primaires à Nassogne, dans deux salles de bâtiments différents, une pour les garçons et l’autre pour les filles » ; que « la salle actuelle continuera à être fréquentée par les garçons » et « qu’un bâtiment sera loué par la commune jusqu’à ce que ses moyens lui permettent de construire ; l’école des filles y sera établie et tenue par deux sœurs de la Providence, qui y auront également leur habitation »[28].

« Vu le contrat passé entre la supérieure de la congrégation des Sœurs de la Providence à Champion près Namur et le susdit-conseil, par lequel cette congrégation s’engage à fournir deux sœurs pour l’instruction des filles de cette commune »[29],

sœur Piersotte Lidwine, âgée de 28 ans, et sœur Hosman Marie Joseph, âgée de 25 ans, furent désignées pour remplir les fonctions d’institutrices[30]. Elles furent nommées définitivement comme institutrices communales le 8 mai 1848[31].

Elles avaient ouvert l’école le 12 octobre 1846 avec 27 élèves réunies en une seule classe ; la seconde ne fut ouverte qu’après la Toussaint, lorsque toutes les petites filles en âge d’école furent présentes[32]. En 1848, l’école comprenait 65 filles réparties en deux classes[33]. Les religieuses avaient alors un traitement annuel de 700 F. pour elles deux, tandis que l’instituteur obtenait 800 F.[34]. Des récompenses furent aussi accordées aux instituteurs primaires qui s’étaient distingués dans l’accomplissement de leur mission pendant les années 1847 et 1848 ; c’est ainsi que l’instituteur Lambert de Nassogne a reçu un livre à titre d’encouragement[35].

Plus tard, les traitements des sœurs furent sensiblement améliorés et portés à 700 F. pour la sœur supérieure et à 400 F. pour la sœur inférieure, plus le casuel qui s’élevait à 588 F., ce qui faisait au total 1.688 F., traitement moyen : 844 F..

Ce ne fut qu’en 1853 que l’école des garçons a été dédoublée ; les autorités communales firent construire une salle contiguë à l’ancienne école, la dotèrent du mobilier nécessaire et nommèrent un instituteur adjoint au traitement de 500 F. ; les deux classes comprenaient alors respectivement 35 et 50 élèves[36].

On ne nous donne pas le nom de ce premier sous-instituteur, mais on peut penser qu’il s’agit du sieur Barzin, à qui a succédé, le 20 octobre 1860, le nommé Perin Henri[37]. On ignore également la date à laquelle ce dernier a été remplacé par Adelin Collard, mais celui-ci était encore en fonctions en 1863, lors d’une nouvelle révision des traitements du personnel enseignant[38]:

ECOLE DES GARÇONS :

Rétribution pour l’instruction gratuite des 58 enfants pauvres :     348 F
Rétribution des 53 élèves solvables :                                         318 F
Traitement fixe de l’instituteur :                                                800 F
Traitement du sous-maître :                                                     500 F

                                                                                Total : 1.966 F.

Les rétributions pour les enfants pauvres et celles reçues des enfants solvables sont réparties de la manière suivante entre les membres du personnel enseignant, savoir :

à Mr Lambert, instituteur :                                                       444 F
à Mr Collard Adelin, sous-instituteur :                                       222 F

        Le logement est fourni par la commune.

 

ECOLE DES FILLES :

Rétribution pour l’instruction gratuite des 38 enfants pauvres : 228 F
Rétribution des 60 élèves solvables :                                     360 F
Traitement fixe de l’institutrice :                                            700 F
Traitement fixe de la sous-maîtresse :                                   400 F
                                                                            Total : 1.688 F.

Les rétributions pour les enfants pauvres et celles reçues des enfants solvables sont réparties de la manière suivante entre les membres du personnel enseignant :

à la Delle Piersotte Lidwine :             392 F
à la Delle Pouleur Florensa[39] :      196 F

Le logement leur est également fourni par la commune.

Les rétributions des élèves solvables et insolvables variant chaque année, une délibération du conseil communal est indispensable pour établir le montant des rétributions de chaque catégorie. Ces rétributions seront perçues directement par les instituteurs, à moins qu’ils ne s’entendent avec le receveur communal pour les prélever[40].

Dès le début de l’année 1860, la commune projetait la construction d’un important bâtiment pouvant contenir les écoles pour les garçons et pour les filles, la justice de paix et la maison communale. Pour ce faire, elle dut procéder à l’expropriation d’un enclos situé au centre du village, connu sous le nom de « clos du Saint-Sacrement » et appartenant au sieur Joseph Colle, propriétaire à Wavreille[41].

Le nouveau bâtiment fut construit en 1864 et les écoles des garçons et des filles y furent installées. L’hôtel de ville comprenait donc quatre classes convenables pourvues de cours pavées, de latrines en nombre suffisant et de bûchers pour remiser le bois ; en même temps, on acheta un nouveau mobilier qui se composait de bancs-pupitres à la taille des enfants, d’une armoire-bibliothèque, d’un bureau, de cartes géographiques, d’un christ et d’un portrait du roi[42].

Quant au bâtiment de l’ancienne école des garçons :

« le 28 octobre 1865, le conseil communal est d’avis de vendre publiquement le bâtiment de l’ancienne école des garçons devenu inutile depuis la construction d’un autre local destiné à la même fin et de réserver le fond pour adjoindre au jardin attenant à l’ancienne école ainsi que le logement de l’instituteur, qui sera dorénavant occupé soir par un sous-instituteur, soit par un vicaire »[43].

La situation de l’enseignement ne cessait de s’améliorer et bientôt, de nombreuses écoles d’adultes se formèrent dans toute la Belgique. Déjà, à Nassogne :

« en juin 1847, à la demande de Mr le doyen, les sœurs acceptèrent d’établir une école de jeunes filles qui, chaque dimanche après les vêpres, se réunissaient au couvent pour y recevoir une instruction spéciale sur les devoirs de la vie chrétienne. Cette institution produisit les plus heureux effets : leur exemple produisit sur la jeunesse la plus salutaire influence »[44].

Ces écoles d’adultes, dont la plupart n’étaient ouvertes que dans un but de moralisation, furent, par un règlement du 1er septembre 1866, l’objet d’une nouvelle organisation : l’enseignement y devint plus utilitaire et il fut décidé qu’il serait accordé aux instituteurs qui en seraient chargés une indemnité de 50 F. plus une rétribution par élève payée au prorata de la fréquentation. En même temps, un plan d’études fut arrêté par l’inspection ; il comprenait les matières énumérées à l’article 6 de la loi, et en outre, des notions d’histoire, de géographie, d’hygiène et de constitution[45].

La première école d’adultes s’ouvrit à Nassogne le 1er octobre 1865 ; elle se composait de deux classes et les cours se donnaient pendant six mois consécutifs de six à huit heures du soir. La fréquentation atteignit le chiffre de 70 élèves âgés de 15 à 30 ans[46]. Deux ans plus tard, le traitement alloué de ce chef aux instituteurs fut porté à 200 F. et le conseil vota une somme pour la distribution de prix aux enfants et aux adultes[47].

En 1868, l’instituteur communal Robert Lambert fut pensionné[48] et remplacé par François Choque, muni du diplôme d’instituteur[49] qui donna sa démission lors de la réforme scolaire de 1879[50].

La même année, la plupart des garçons étaient devenus tellement « grossiers, malhonnêtes et irrespectueux », que les autorités communales durent imposer à l’instituteur ou, à son défaut, au sous-instituteur, de surveiller les élèves « pendant le moment de leurs récréations, dans les rues », et également « tous les dimanches et jours de fête, pendant les offices », et en cas d’indiscipline, de leur infliger « telles punitions qu’il jugera utile »[51].

Les sous-instituteurs qui ont été en fonctions depuis la démission du sieur Collard Adelin en 1864 sont les suivants :

Henriquet Nicolas :               1864-1866[52]
Prignon Pierre :                      N’est resté que 10 jours en fonction[53]
Gillet Amédée :                      1866-1874[54]
Rochette Léon :                      1874-1876[55]
Gaspart Romain :                   1876-1879[56]

En 1870, une loi fut votée décrétant que les traitements des instituteurs ne pouvaient plus être inférieurs à 1.000 F.[57].

A l’école communale des filles, le 12 avril 1871, la mort enleva sœur Lidwine « à l’affection de sa compagne et de ses élèves »[58]. Le 13 septembre, elle fut remplacée par sœur Euphrosine Hautot comme institutrice en chef[59].

A côté de l’enseignement proprement dit, les concours primaires prirent aussi une grande importance : primitivement, les instituteurs d’un canton réunissaient leurs élèves de la première division dans une école du district et leur faisaient subir un petit examen en commun ; ce fut l’acheminement vers les concours. C’est en 1863 qu’ils furent officiellement instaurés. Les cantons étaient tirés au sort et les élèves subissaient deux épreuves, l’une écrite et l’autre orale ; dans la suite, l’épreuve orale fut supprimée. La commune de Nassogne se distingua dans ces joutes scolaires puisqu’en 1872, tous les élèves présentés obtinrent le certificat de capacité, bon nombre de prix et un livret de la Caisse d’Epargne[60].

Le 27 novembre 1874, le gouvernement publia un règlement qui arrêtait un programme de collections propre à l’organisation de l’enseignement intuitif et trois ans après, les écoles de Nassogne étaient pourvues de cartes géographiques, d’une mappemonde, d’une sphère, de tableaux d’histoire sainte, d’histoire nationale et de sciences naturelles, d’un baromètre, d’une horloge, d’un thermomètre, etc... En outre, une bibliothèque à l’usage des instituteurs et des jeunes gens fut installée au chef-lieu du canton et l’instituteur fut nommé bibliothécaire à titre gratuit ; mais plus tard, en 1879, il reçut une gratification de 50 F.[61].

Les premiers temps de la mise en vigueur de la loi de 1842 furent employés à organiser, à réformer, à édifier. L’inspection, dans les visites et les conférences trimestrielles, s’attacha à inculquer aux anciens instituteurs, les premiers principes de la pédagogie et de la méthodologie ; elle organisa la simultanéité dans l’enseignement :

a)      sous le rapport des élèves, en les groupant en trois degrés distincts ;

b)      sous le rapport des branches à enseigner, en les exposant simultanément à l’intelligence des enfants en cours concentriques au lieu de les échelonner ;

c)       sous le rapport des exercices scolaires, en procédant par des exercices d’ensemble[62].

Sous cette bienfaisante poussée, les leçons de mémoire firent place à des leçons raisonnées ; les procédés routiniers furent détrônés insensiblement et cédèrent la place à une méthode simple, claire, basée sur la nature même de l’esprit. Les exercices d’ensemble succédèrent aux occupations isolées, excitant chez les élèves l’émulation et leur donnant le goût du travail. La discipline ne tarda pas à se ressentir de cette influence et la direction des écoles devint moins pénible ; les récompenses, inconnues jusqu’alors, jouèrent un rôle prépondérant ; en même temps, les punitions perdirent leur caractère de brutalité, d’humiliation, de découragement et firent place à un autre système plus humain et plus moralisateur, par exemple : les mauvais points, la réprimande, le refus des cartes de bonne conduite, la retenue sous la surveillance de l’instituteur, l’exclusion et le renvoi définitif. Toutefois, les punitions corporelles, bien que défendues, continuèrent encore dans bien des écoles, mais à un degré moindre. Enfin, l’éducation morale des enfants entra dans une nouvelle phase de développement, grâce à l’instruction plus intelligente et plus étendue ; ainsi, la discipline fut mieux comprise et mieux exercée.

La loi de 1842 a grandement favorisé l’extension de l’enseignement primaire et les réformes qu’elle y a apportées sont incontestablement à l’origine des immenses progrès constatés partout en Belgique à cette époque.

1879-1884 : nouvelle réforme scolaire et réaction

Si le climat politique était assez serein lors de l’élaboration de la réforme scolaire en 1842, il n’en était plus de même en 1879. Les catholiques et les libéraux avaient marché jusqu’ici la main dans la main et leur confiance mutuelle avait donné d’excellents résultats. « Des efforts sincères étaient réalisés pour associer la cause de l’Eglise à la cause de la liberté »[63].

Mais les idées émises au parlement en 1842 étaient loin d’être le reflet de l’opinion publique de l’époque ; déjà, en 1846, la nouvelle loi scolaire était contestée dans les milieux populaires et le mécontentement général ne fit que s’accroître au fil des ans devant la pression grandissante dans les écoles de l’autorité ecclésiastique[64].

La nouvelle loi, issue du gouvernement libéral, avec Van Humbeeck comme ministre de l’instruction publique, apporta, en résumé, les dispositions suivantes :

  1. Les écoles communales sont seules reconnues par l’Etat ; les écoles adoptées sont supprimées ;
  2. L’enseignement religieux est laissé aux soins des familles et des ministres des Cultes ; un local est mis à la disposition du clergé pour donner, avant ou après les classes, l’instruction religieuse ;
  3. L’enseignement religieux est exclu des écoles normales ;
  4. L’autonomie communale en matière scolaire est fortement réduite ;
  5. L’inspection ecclésiastique dans les écoles est supprimée[65].

« La communauté scolaire réagit vigoureusement. Partout étaient créées des écoles libres, sans aucune aide publique, ni pour les traitements, ni pour le fonctionnement ; des maîtres ont accepté de vivre avec un salaire minimum ; des milliers d’initiatives étaient prises pour ramasser, centime par centime, le denier scolaire indispensable pour soutenir cet effort. Aux termes de cette loi, l’enseignement religieux était banni de l’horaire scolaire ; il fut interdit aux communes de donner des subsides (les seuls à l’époque) à l’enseignement libre »[66].

A Nassogne, l’instituteur Choque, par scrupule de conscience, donna sa démission et quitta le village avec sa famille ; l’insuffisance de ressources empêcha la création d’une école libre de garçons[67]. « Une ère de tracasseries et de vexations » commença pour les religieuses ; elles donnèrent leur démission et furent remplacées par deux institutrices laïques communales. De ce fait, elles se trouvèrent sans asile et Antoine Legrand, conseiller communal, leur offrit gratuitement une maison située rue de Masbourg[68]. Elles furent heureuses de l’accepter telle. qu’elle était, ayant seulement deux pièces au rez-de-chaussée pour les classes et deux à l’étage. La plus vaste des pièces n’avait pas plus de 23 m³. C’est alors que sœur Lucrèce gagna une extinction de voix qui devint chronique ; les supérieures lui envoyèrent comme aide sœur Marie-Gonzaline Grandjean[69].

La lutte scolaire fut vive. Au début, un tiers environ des petites filles de la commune passèrent à l’école communale ; peu à peu cependant, il en revint un certain nombre à l’école des sœurs. Vu l’exiguïté de leurs locaux, les sœurs furent obligées de répartir leurs élèves en trois classes, employant à cet effet l’une des deux chambres du haut. Pendant deux ans, il ne leur resta plus pour leur usage propre qu’une seule pièce servant à la fois de cuisine, d’oratoire et de dortoir[70].

La fatigue et le manque d’air avaient gravement altéré la santé de sœur Marie-Gonzaline. Elle dut retourner à Champion au mois de mai 1883 et y mourut le 5 décembre suivant. Presque en même temps mourut leur bienfaiteur, Antoine Legrand[71]; elles durent quitter l’habitation qu’il leur procurait gratuitement depuis quatre ans[72].

Le 2 janvier 1881, le conseil communal de Nassogne approuve la création d’une école gardienne communale[73]; un local fut construit à côté de l’école des filles, on le dota d’un mobilier complet en rapport avec la méthode froebélienne et une institutrice laïque fut nommée au traitement de 1.000 F. ; dès le début, sa fréquentation s’éleva à trente élèves. La même année, l’épargne fut introduite dans les écoles du royaume et Nassogne suivit le mouvement ; cette innovation heureuse prospéra rapidement dans la localité grâce aux conseils et aux efforts du personnel enseignant[74].

L’instruction religieuse fut maintenue au nombre des branches obligatoires et le personnel communal de Nassogne au complet accepta de la donner malgré le clergé, recevant ainsi une indemnité de 100 F.[75]. En sa séance du 28 décembre 1879, le conseil communal avait décidé de faire donner l’instruction religieuse aux enfants, filles et garçons, des deux écoles communales[76].

Si la loi de 1879 apporta de notables améliorations dans l’enseignement — la musique, les formes géométriques, les sciences naturelles, la gymnastique, et pour les filles, la couture furent ajoutés au programme – elle fut à l’origine de troubles sérieux entraînant souvent des vengeances réciproques les plus déplorables.

« Lorsque la loi fut promulguée, les évêques recoururent aux résolutions les plus rigoureuses : les parents qui envoyaient leurs enfants dans les écoles de l’Etat, les maîtres qui y enseignaient la religion — le Gouvernement les avait conviés à parer à la carence du clergé — étaient excommuniés. L’Episcopat ordonna des prières dans toutes les églises contre la “loi de malheur” ; elles étaient récitées chaque dimanche au prône et se terminaient par ces mots impressionnants : “Des écoles sans Dieu et des maîtres sans foi, délivrez-nous, Seigneur”. Malgré les conseils de prudence et de modération donnés par le Saint-Siège, l’Episcopat persista dans son intransigeance »[77].

Afin de dénoncer les moyens employés par le clergé pour entraver l’exécution de la loi, une enquête scolaire s’ouvrit en 1880, décidée et organisée à l’initiative du parlement ; le 10 août de la même année, à huit heures du matin, commença, au local du tribunal de 1ère instance de Marche-en-Famenne, l’audition des 61 témoins volontaires du canton de Nassogne qui désiraient être entendus dans leurs dépositions. Trois séances furent nécessaires pour recueillir leurs témoignages. Voici, extraites du procès-verbal d’enquête, les déclarations des deux témoins de Nassogne[78] :

« de Kessel Charles-Henri, 36 ans, propriétaire à Nassogne, prête serment et déclare : « Lors de la promulgation de la loi, il a été établi à Nassogne une école libre. Les enfants de l’école communale, ayant voulu occuper les bancs qui leur étaient jusque là réservés, le doyen s’y est opposé, aidé de certains pères de famille. Les parents de ces enfants sont intervenus à leur tour, et l’un d’eux a dit au doyen en lui mettant la main sur l’épaule : “Ces enfants sont à moi, je vous défends d’y toucher. Le doyen lui ayant intimé l’ordre de sortir, il répondit : ‘Je sortirai quand il me plaira’. Le doyen a alors établi une démarcation entre les bancs, classant ceux de l’école libre dans la grande nef, et ceux de l’école communale dans la petite nef.

L’échevin de la commune avait fait placarder une affiche sur la porte de l’église pour annoncer l’ouverture de l’école d’adultes des filles. Le doyen a arraché cette affiche ; il a été poursuivi, mais il a été acquitté par une raison de droit, le juge de paix décidant qu’on n’avait pas le droit d’afficher sur les battants de la porte de l’église.

Le doyen de Nassogne s’est rendu un jour auprès d’un appelé Reumont, moribond, et lui a dit que s’il ne retirait pas ses enfants des écoles officielles, il n’y avait pas de sacrements pour lui. A quoi le mourant a répondu qu’il devait réfléchir. Le lendemain, le doyen s’est représenté et a renouvelé les mêmes menaces ; cédant alors au désir exprimé par la famille, Reumont a promis de retirer ses enfants de l’école communale. Mais il s’est rétabli et il a manifesté l’intention de remettre ses enfants à l’école communale.

Je puis ajouter par ouï-dire que le doyen de Nassogne d’occupe beaucoup en chaire de la question scolaire ; l’excommunication est générale ; il n’y a pas d’exception pour les femmes. Un grand jubilé, qui se fait actuellement et qui doit durer six mois, dit-on, a pour but de ramener à bercail les brebis égarées, les parents qui envoient leurs enfants aux écoles communales. Un pèlerinage a eu lieu dernièrement à ce sujet à Saint-Hubert.

Le curé a été très violent dans ses sermons, attaquant l’école et les instituteurs, disant aux femmes de prendre le dessus sur leurs maris pour envoyer leurs enfants aux écoles libres. Le doyen fait son catéchisme à l’école libre, et il le fait à des heures qui empêchent les enfants de l’école communale de s’y rendre. Je lui ai dit un jour qu’il agissait ainsi par rage de la défaite ; car sous l’ancienne loi, il donnait son catéchisme avant les heures ordinaires des classes”. Après lecture, le témoin persiste et signe,

de Kessel »

« Gruslin Marie, épouse Paris, 30 ans, sans profession, domiciliée à Charleroi, prête serment et déclare :

« j’ai été institutrice communale à Nassogne ; je suis arrivée quand les institutrices religieuses ont quitté l’école communale, en octobre 1879.

La lutte a été très violente. Les prédications du clergé ont amené la désertion de l’école communale. De 110 élèves qui étaient à l’école auparavant, il ne nous en est resté que 50 à la rentrée de 1879 ; plus tard, nous en avons eu 50. Le curé a dit que nous ne connaissons pas la religion, que si nous l’enseignons, c’est pour gagner une somme de 100 francs. L’administration communale s’est montrée indifférente. Le comité scolaire seul nous a défendues.

Des parents nous ont dit que nous allions avoir de mauvais livres ; or, les livres que nous avons reçus à la rentrée de 1879 étaient des livres commandés par les religieuses, quand elles étaient encore institutrices communales. J’ai cependant dû démentir le bruit que l’on faisait ainsi courir.

Un autre jour, j’ai dû faire une exposition d’ouvrages manuels à l’école communale afin de profiter de l’occasion pour montrer aux parents que le christ était toujours attaché au mur de notre école.

Nos enfants, à l’église, occupaient un banc sur six ; une des religieuses fit signe au doyen qui se trouvait dans la sacristie, et celui-ci arriva pour faire quitter le banc par mes élèves. Mais je lui répondis que ces enfants étaient là avec autant de droits que les autres ; et mes élèves sont restées à leurs places.

Une scène regrettable s’est produite à l’occasion de l’enterrement de Madame de Kessel, la mère du président de notre comité scolaire. Le doyen a fait un discours vraiment inconvenant. Cette dame, qui favorisait l’enseignement officiel, est morte subitement. Le doyen a parlé en chaire des mauvais riches, qui étaient trop attachés aux richesses et ne donnaient rien pour les bonnes œuvres ; disant que le doigt de Dieu se montrait dans leurs maisons et que la mort venait les frapper au milieu de la nuit. Ces paroles ont excité l’indignation générale. Mes élèves avaient fait faire deux couronnes pour mettre sur le cercueil de la morte. Mais le doyen les a fait ôter.

Je n’avais dans ma classe qu’une seule enfant réellement très indigente, c’est une orpheline. Le bureau de bienfaisance lui a refusé de la toile qu’on distribue chaque année ; mes élèves se sont alors cotisées pour acheter de la toile à cette pauvre enfant.

Aux mères qui mettaient leurs enfants à l’école communale, on refusait l’absolution ; mais on la donnait à celles qui mettaient leurs enfants à l’école communale des garçons.

Plusieurs fois nous avons été insultées par les enfants des écoles catholiques. On venait frapper contre nos fenêtres ; les mères de ces élèves même s’en mêlaient. J’ai dû faire intervenir la police locale.

L’administration communale nous encourageait aussi très peu. Ainsi, à notre distribution des prix, il n’y avait que trois membres du conseil communal.

Je sais que le chantre-sacristain a été menacé de perdre sa place s’il maintenait ses enfants à l’école communale, il les a alors retirés, je sais aussi qu’il en a été très contrarié, et il a dû maintes fois promettre à ses enfants de les conduire à l’école communale. Les enfants ne voulaient pas aller à l’école des sœurs, parce qu’elles n’y apprenaient rien. Une de mes tantes a été excommuniée parce qu’elle est ma tante ; elle n’a pas d’enfants et ne restait même pas avec moi.

J’ai quitté Nassogne depuis novembre 1880.

Après Lecture, le témoin persiste et signe.

Paris-Gruslin »

Telle est la situation douloureuse dans laquelle Nassogne a vécu après la réforme scolaire de 1879.

« La présentation de la loi ouvrit dans notre pays une ère d’agitation, dont les conséquences politiques, religieuses, sociales même furent graves et profondes. Politiquement, la loi de 1879 a contribué à blesser gravement le libéralisme ; religieusement, de nombreux fidèles ont délaissé la pratique du culte ; socialement, elle a, sinon séparé davantage les classes, du moins, accentué les divisions et facilité par là l’éclosion du socialisme »[79].

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