Clicky

Ok

En poursuivant votre navigation sur ce site, vous acceptez l'utilisation de cookies. Ces derniers assurent le bon fonctionnement de nos services. En savoir plus.

Douze superbes chansons de David Bowie moins connues.

Pin it!

A l'occasion des cinq ans de la mort de David Bowie, je vous repropose cet article que j'avais fait alors.

Étant fan de David Bowie depuis ma jeunesse, et, n’ayant entendu parler dans tous les organes de presse que de ses plus gros tubes, l’idée m’est venue de vous proposer douze chansons superbes, mais moins connues.

Les vidéos proviennent de YouTube et les textes sont de Chris Welch. Il a sorti en 1999 un livre intitulé "The stories behind every song : David Bowie changes 1970-1980". Ce livre a été traduit en français en 2000 et m’avait été offert par une de mes filles.

Nous commencerons par la seconde chanson de l’album « The man who sold the world » sorti en avril 1971, intitulée « All the madmen » c’est ma chanson préférée de Bowie.
Bowie reconnaîtra plus tard qu’il vit l’une des pires périodes de sa vie lorsqu’il compose et enregistre ce morceau. Il subsiste alors chichement à Haddon Hall, sa maison de Beckenham, dans le Kent, et vient de perdre son père, ainsi qu’un autre symbole paternel, avec le remplacement de Kenneth Pitt par Tony Defries. Et, surtout, son demi-frère Tony Burns souffre d’une affection qui impose son hospitalisation à Cane Hill, d’où l’omniprésence du thème de l’incarcération dans les paroles de cette chanson. Ouvrant sur un simple accompagnement à la guitare acoustique, Bowie semble préoccupé et perturbé lui-même lorsqu’il chante : « Jour après jour, ils expédient mes amis dans des établissements froids et gris... » Le patient fait face au mur et parle dans le vide, mais il est heureux dans le cocon de son service hospitalier. Il est satisfait, parce que tous ses compagnons souffrent visiblement de la même affection. La voix dédoublée et schizophrène de Bowie est particulièrement glaçante lorsqu’il entonne « Jour après jour, ils expédient des esprits... », une référence à la lobotomie, intervention consistant à pratiquer des incisions dans les structures nerveuses du lobe frontal du cerveau : une éventualité dans le traitement des maladies mentales incurables.
D’austères flûtes à bec distillent une triste complainte, avant que le morceau n’évolue en un boléro rageur et menaçant. La libération n’est pas envisageable pour les internés. « Je préfère rester ici avec tous les déséquilibrés que de mourir en liberté avec tous les désespérés. » Le message est réitéré sur un accompagnement ininterrompu de battements de mains, et il échoit à la basse de Visconti de reprendre la mélodie pendant que Bowie répète « Zane, Zane, Zane », il n’est pas de meilleur moyen de créer une musique éloquente que de puiser au plus profond de ses expériences personnelles.
En tant que telle, cette chanson a plus de légitimité que tout le rock chic soigneusement contrit jamais produit. Bowie n’oubliera pas ce titre. Ail The Madmen sort en 45 tours aux États-Unis, en décembre 1970, à fin de promotion, et sera reprise pour la tournée Glass Spider de 1987.

 Toujours extrait de l’album « The man who sold the world », la chanson qui porte le titre de l'album.

L’intérêt de Bowie pour le bouddhisme et sa fascination pour le concept de réincarnation s’expriment tous deux dans ce titre étrange. Sa première remarque, en ouverture de la chanson, est une référence fugace au célèbre quatrain du poète Hughes Mearns (né en 1875) : « Alors que je montais les escaliers, j’ai rencontré un homme qui n’était pas là. Il n’était pas là aujourd’hui non plus. Je préférerais qu’il reste à l’écart. » Ici, Bowie entonne : « Nous sommes passés par les escaliers, nous avons parlé de tout et de rien, mais je n’étais pas là. »
L’homme auquel il est fait allusion est, bien sûr, son alter ego, comme une projection de lui-même ou un ami très proche et très intime. Les techniques d’enregistrement de l’époque montrent leurs limites : dans ce morceau, la batterie donne l’impression de se trouver dans une autre pièce, et les cymbales celle d’être enveloppées dans du coton.
Saluée comme l’une des mélodies les plus mémorables de l’album, The Man Who Sold The World est reprise en 1973 par la chanteuse pop des années soixante, Lulu. La chanson mélancolique de Bowie constitue l’un de ses premiers grands tubes depuis Boom Bang-A-Bang en 1969, et contribue à moderniser son image. Bowie, qui respecte Lulu en tant qu’ancienne idole du rythm & blues anglais, ne se contente pas de produire l’enregistrement, mais assure également les chœurs et joue du saxophone. En 1979, la chanson connaît une seconde jeunesse grâce à Bowie lui-même, qui l’interprète lors du célèbre show télévisé américain Saturday Night Live, avec Jimmy Destri de Blondie aux claviers. Et lorsque le grunge surgit dans les années nonante, menaçant d’éclipser l’aura de stars comme Bowie au profit de groupes comme Nirvana, Kurt Cobain lui rend hommage en reprenant cette chanson sur son album « Unplugged ». 

« Changes », extrait de « Hunky Dory », décembre 1971. La plus connue des chansons dont je vais vous parler

Ch-ch-ch-changes » balbutie Bowie dans la chanson qui a changé le monde. Elle ne remporte peut-être pas un franc succès chez lui, mais elle se classe au moins 66e aux États-Unis. Et surtout, elle signale à ceux qui l’écoutent que Bowie est un compositeur majeur. Cette chanson accroche l’oreille et reste facilement en tête — elle a donc tout pour faire un tube. Sortie en 45 tours en janvier 1972 avec Andy Warhol en face B, elle passe énormément à la radio et dans les meilleures boîtes. Pour Bowie, ce titre représente tous les changements qu’il a vécus dans le passé et résume ses capacités évolutives. Il y chante : « À chaque fois que j’ai pensé avoir atteint mon but, le goût de la victoire n’avait pas la douceur attendue. » Cela concerne vraisemblablement ses amis et son entourage, autant que l’évolution de son personnage et son style musical. Le morceau fait également allusion à des changements à plus grande échelle, exprimant ses sentiments sur l’agitation et les manifestations dont il a été témoin en Amérique alors que la guerre du Viêtnam battait son plein. « Ces enfants sur lesquels vous crachez... ils essaient de changer leur monde », fulmine-t-il.
Bowie juge a posteriori sa composition un peu névrosée, et aurait préféré mettre « Life On Mars ? » sur le 45 tours, mais il a laissé la décision aux responsables de RCA, qui ont considéré que « Changes » a de meilleures chances de succès. Ils l’estiment suffisamment simple et directe pour plaire aux DJs et aux fans plus jeunes, tout en conservant cette étincelle de génie qui sépare Bowie de tous ses rivaux glam. La chanson bénéficie d’arrangements magistraux qui paraissent encore sophistiqués aujourd’hui, et d’une superbe partie de piano de Rick Wakeman, riche et mélodieuse. De plus, la production est excellente, et le mixage des voix extrêmement fin, surtout si l’on considère l’obligation de mêler des chœurs avec un chant principallong et complexe.
Ce sont peut-être ces subtilités, incluant une partie de saxophone à la fin, qui ont rebuté les acheteurs de singles, alors subjugués par T Rex. Lorsque Bowie entonne « Je ne sais toujours pas ce que je cherchais... » et qu’il fait allusion à « un million d’impasses », il donne l’impression de raconter un script de film, même si l’histoire est incomparablement plus claire que la plupart des délires hippies. Une phrase quelque peu prophétique apparaît à l’apogée de la chanson, lorsqu’il avertit les rockers, condamnés à vieillir : « Le temps peut me changer, mais je ne peux remonter le temps. » Il se distancie ainsi de son propre engagement dans le rock, préférant la position du poseur glamour libre de se métamorphoser à volonté.
Sur un plan plus pratique, Bowie se révèle être un maître du phrasé jazz. Reste à souligner les variations étonnantes qu’il sait appliquer à son chant : on connaît au moins une douzaine de « voix de Bowie » flottant dans l’éther...
En janvier, alors que sort le 45 tours « Changes », Bowie donne un concert unique au Lanchester Arts Festival, près de Coventry. Il est alors submergé d’offres de scène, mais les refuse toutes. Il juge par contre que Lanchester, avec son public étudiant, sera plus réceptif à sa performance que bien d’autres lieux. « J’ai changé de perspective au sujet des concerts, déclare-t-il aux journalistes de l’époque. Nous n’allons plus crapahuter à travers tout le pays chaque soir, mais nous apparaîtrons sur scène plus que par le passé. Rencontrer des gens enthousiastes me rend la vie bien plus facile et m’a rendu moi-même bien plus enthousiaste. » Pour ce concert exceptionnel, il est accompagné par Ronson, Woodmansey et Bolder, et les fans se déchaînent. Bowie sent l’atmosphère électrique et annonce doucement : « Je vais devenir immense et c’est un peu effrayant, en un sens, parce que je sais que, lorsque j’aurai atteint mon apogée et qu’il sera temps pour moi de redescendre, ce sera un choc. » Il ne devrait pas s’inquiéter. Quelques mois plus tard, la « Bowiemania » battra son plein, et il jouera partout à guichets fermés.

"Queen Bitch", toujours un extrait de "Hunky Dory"

Mick Ronson (c'est le guitariste du groupe) donne immédiatement vie à "Queen Bitch", qu'il enflamme d'une superbe guitare rock'n'roll. Ce morceau a dû soulager les directeurs artistiques de leurs inquiétudes chroniques! C'est la troisième chanson hommage de l'album. Et si quelqu'un mérite un hommage, c'est bien Bowie lui-même! Les exclamations de Bowie, ponctuant les coups de boutoir de Ronson, sont spontanées et éloquentes. C'est une histoire dévoyée d'amour homosexuel et de travestisme dans les boîtes de nuit de Babylone - ou d'East Finchley. «Je pourrais faire beaucoup mieux que cela », glousse Bowie, en se moquant du chapeau ridicule que porte son rival.
Ce titre sera ensuite choisi pour servir de face B au single Rebel Rebel, qui sort en février 1974. Sur les notes de pochette, Bowie écrit à côté du titre de ce morceau « Some VU white light returned with thanks », en référence à l'influence du Velvet Underground et de leur chanson "White Light White Heat" sur ce morceau fin et incisif. Queen Bitch paraît terriblement corrosif à l'époque, et conservera tout son charme, trente ans plus tard.

« Five years », plage d’ouverture du cinquième album « The rise and fall of Ziggy Stardust and the Spiders from Mars », juin 1972

Si l’on considère la passion et la sincérité, la tension et l’humour noir, qui sont au cœur de la plupart des premières compositions de Bowie, il y a, en comparaison, quelque chose de dérangeant et de délibérément contrefait dans une grande partie des morceaux de « Ziggy » il. Les paroles et l’interprétation semblent manquer d’authenticité, et Five Years est l’exemple d’une chanson particulièrement maniérée et même quelque peu irritante.
Pour exemple, ces paroles : « Une fille de mon âge a perdu la tête, s’est mise à frapper des petits enfants — si le Black ne l’avait pas retenue, je crois qu’elle les aurait tués. » Sans reprendre son souffle, il ajoute à la suite de ce « Black » un flic, un prêtre et un « pédé ». On dirait que sa provocation tient plus à l’envie de produire un effet qu’à un besoin sincère. Soudain, les mots d’un supposé poète angoissé, excusables chez un artiste inexpérimenté, commencent à ressembler à une divagation précieuse, même si elle est censée décrire la perte de l’innocence.
Le morceau débute sur un échauffement du batteur sur son instrument, qui semble placé au milieu de son salon. Il n’y a aucune excuse pour cela, même en 1971 !
La voix de Bowie, haut placée et débordante d’inflexions à la Lennon, déambule à travers de lourds arrangements de cordes qui évoquent le « I'm the walrus ». Ce morceau pose le décor de l’histoire du mythique Ziggy Stardust et de ses contacts avec des êtres extraterrestres. Il est ainsi révélé que la planète se meurt et qu’il ne reste plus que cinq ans avant la fin du monde. Cette idée est alors assez répandue, et les mouvements environnementalistes clament que les ressources de la planète sont proches de l’épuisement. La nouvelle de l’imminescence de la fin du monde provoqué des scènes de panique en Amérique, et le présentateur du journal télévisé pleure en l’annonçant, tandis que Bowie observe une vieille connaissance qui boit des milk-shakes à une table en souriant et en lui faisant signe de la main. Bowie tentera plus tard d’expliquer la scène : « il a été annoncé que le monde allait disparaître faute de ressources naturelles. Ziggy est dans une situation où tous les jeunes ont accès aux choses qu’ils pensaient désirer. Ziggy joué dans un groupe de rock’n’roll, mais les jeunes ne veulent plus de rock’n’roll. Il n’y a plus d’électricité pour en jouer. »
C’est alors que les conseillers de Ziggy lui proposent de reprendre les nouvelles en question et de les chanter aux gens. Bowie pense ensuite que l’apocalypse pourrait venir de l’effondrement de la civilisation et de la menace des trous noirs dans l’espace qui pourraient engloutir la terre. Il conçoit l’idée d’êtres appelés les « infinis » capables de se déplacer à travers l’univers en sautant d’un trou noir à un autre. Ziggy devient leur prophète autoproclamé, mais les êtres stellaires décide de consumer Ziggy afin de pouvoir se matérialiser sur terre, un processus décrit dans le dernier morceau « Rock’n’roll suicide ». D’après Bowie : « A l’instant où Ziggy meurt sur scène, les infinis utilisent sa matière et deviennent visibles. C’est une histoire de science-fiction. » Pourtant, malgré ce scénario fort sombre, « Fives years » est une chanson optimiste. L’album doit être pris dans ce sens. La chanson est jouée en février 1972 devant les caméras du programme télévisé de la BBC « Old grey whistle test », et sera régulièrement interprétés lors des concerts de Bowie des années 70.

 « Suffragette City », l’une des deux dernières chansons spécifiquement enregistrées pour l’album « The rise and fall... », exprime l’intérêt grandissant de Bowie pour le mouvement féministe, qui prend alors de l’ampleur. C’est en tout cas une première interprétation possible. Mais il semble plus probable qu’il fait référence à une groupie particulièrement envahissante à laquelle il tente d’échapper. « Cette fille aux cuisses veloutées m’a déplacé la colonne vertébrale. » Avec son tempo rapide, la chanson offre un moment de détente dans cette histoire de fin du monde. La partie de saxophone est jouée sur un synthétiseur ARP par Mick Ronson, avec le son d’un sax. Durant un break dans les accords boogie du piano, Bowie laisse échapper le fameux « Wham Bam Thank You Ma'am ». Cela vient non pas du single éponyme des Small Faces, mais d’un morceau de Charlie Mingus tiré de son légendaire album « Oh Yeah », que d’innombrables fans de jazz et de blues ont usé jusqu’à la corde depuis sa sortie en 1962, dévorant des morceaux comme Eat That Chicken et Oh Lord Don't Let Them Drop That Atomic Bomb On Me. D’après Mingus, le batteur Max Roach avait l’habitude de répéter cette phrase « à chaque fois qu’il ne trouvait pas les mots pour exprimer ses sentiments ». Les fans de Bowie, par contre, ont supposé qu’elle avait des connotations sexuelles. Suffragette City servit de face B au 45 tours Starman, sorti en avril 1971. Toujours populaire, elle ressortira, cette fois en face A (couplée à Stay), en juillet 1976. Cette réédition aura lieu à l’époque de la réalisation de la compilation Changesonebowie pour en assurer la promotion, mais le 45 tours n’entrera pas dans les charts. Bowie l’interprétera néanmoins en concert pendant des années. 

 « Panic in Detroit », extrait de « Aladdin Sane », 13 avril 1973

Bowie compose ce morceau à Los Angeles, après une virée nocturne avec Iggy Pop, qui a passé des heures à le régaler d’histoires torrides sur la vie dans sa ville natale, Detroit. Cette ville, qui est le centre de la production automobile aux États-Unis, a été surnommée « la capitale américaine du meurtre ». Depuis, ses édiles ont pris des mesures afin de ne plus mériter cette appellation, pour des raisons de fierté civique et de progrès. Quoi qu’il en soit, les histoires de violence d’Iggy ont un tel impact sur Bowie que celui-ci commence à considérer le chanteur des Stooges comme une sorte de Che Guevara urbain, un extrémiste politique qui garde toujours son arme à portée de main et se déplace en van diesel, dernier survivant du gang de l’armée du peuple. Ici, Bowie se fait plus spectateur, se distanciant de sa propre situation et révélant peut-être que sa propre plongée dans la décadence n’est que le résultat d’un désenchantement et une réaction au déclin de la révolution hippie (ou sociale) qu’il a autrefois appelée de ses vœux. On y trouve une scène dans laquelle les forces de police assouvissent leur vengeance contre les révolutionnaires, et Bowie chante que seuls quelques étrangers s’en sortirent vivants. Dans le troisième couplet de la chanson, l’emphase change et Bowie redevient un étudiant qui voit son professeur « étriqué dans sa blouse », en méprisable représentant de l’establishment. Bowie laisse alors échapper un cri, et fracasse sa « machine à sous favorite », ce qui peut être interprété comme un geste symbolique — frapper un grand coup contre le matérialisme. Ensuite, voyageant une fois encore dans le temps, Bowie gagne « mille milliards de dollars » et intègre le système capitaliste. Le message est clair : les révolutions sont vouées à l’échec. Un solide beat à la Bo Diddley maintient une impression de menace et un air de panique appropriés, pendant que Mick Ronson concocte à la guitare un accompagnement plein d’âme, et que des chœurs sans paroles vocifèrent d’une façon qui est devenue l’essence même du succès de bien des tubes dance des années quatre-vingt-dix. 

 « Time », toujours extrait de « Aladdin Sane » est également un de mes préférés. C’est une belle performance de cabaret dans laquelle Bowie adopte une sorte de pose à la Marlene Dietrich, sauf qu’il est fort peu probable que Marlene eût utilisé le terme « se branler » dans les paroles d’un tel morceau ! Comment Bowie se débrouille-t-il alors pour échapper au comité de censure et aux associations de morale ? Mystère ! Mais il décrit fièrement comment le temps « joue de son corps comme une pute, tombe et se branle sur le sol ». Je me souviens de Bowie chantant Time lors d’un concert privé au Marquee de Londres, et du sourire choqué d’une célèbre journaliste rock lorsqu’il récita pour la première fois cette phrase lapidaire.
Mike Garson s’affaire en retrait, tandis que Bowie se tend et se déchaîne, un bien triste spectacle pour ceux qui ont encore en mémoire ce gentil jeune homme qui chantait Uncle Arthur et Rubber Band. « Ce devrait être notre tour, maintenant ! » s’exclame-t-il. Il y a pourtant matière à réflexion dans ce morceau qui pose finalement un regard sérieux sur le sort de l’humanité, face au temps et à son impitoyable progression. Au détour des paroles, il mentionne « Billy Dolls », une allusion à Billy Murcia, le batteur des New York Dolls, mort à Londres en novembre 1972, l’un des nombreux amis de Bowie tombé sous la faux de la Camarde.
Bien qu’a priori un peu kitsch et théâtrale, Time est dotée d’un charme hypnotique ; à l’instar des morceaux les moins prometteurs de Bowie, cette chanson mérite une attention soutenue et plusieurs écoutes, qui permettent aux nuances subtiles et au sens caché de se révéler à l’auditeur assidu. La pause ménagée au cœur de la chanson est une innovation technique plutôt osée, et le rythme lent, mais régulier du morceau permet au batteur d’éviter tout remplissage superflu et de se concentrer sur un beat solide et efficace fort bienvenu. Carson conclut sa longue partie de piano d’un mémorable « plink », tandis que Ronson tire de sa guitare quelques hurlements délibérément grotesques qui risqueraient de provoquer un arrêt cardiaque chez Jeff Beek.

David Bowie est dans l’air du temps — comme à son habitude — lorsqu’il décide de se replonger éhontément dans l’esprit des « swinging sixties », au moment même où il se voit proclamer prophète de l’ère nouvelle du glam. Il sort alors le 19 octobre 1973 un album de reprise. Voici les deux extraits que je préfère.

Une grande surprise sera l’interprétation cataclysmique du tube de 1967 du Pink Floyd, « See Emily Play », avec des glissandos au piano, un synthétiseur sauvage et des parties vocales profondément menaçantes. Dunbar se déchaîne sur ce classique de Syd Barrett, offrant une fantastique assise au reste des Spiders. Souffle alors un vent de folie : on pourrait presque sentir l’encens brûler quand le groupe se jette dans le genre de délire alimenté à l’acide qui n’aurait pas déparé sur la scène de l’UFO, durant l’été 1967. Des cordes apparaissent de nulle part pour un final psychédélique qui balaie toute idée de suicide rock’n’roll et toutes les prophéties de fin du monde !

« Friday on my mind », la classique complainte du col bleu, qui propulsa les Esaybeats australiens à la sixième place des charts britanniques en 1966, est desservie par des vocaux un peu trop frénétiques, mais je l'aime bien également.

 « Station To Station », extrait de l’album du même nom (janvier 1976) est un morceau important, contrairement à ce que l’on pourrait d’abord penser. Le constant mélange d’influences, d’idées à demi exprimées et de messages cachés ne manque pas d’intérêt.
En voiture !
Bowie nous invite à un voyage chimérique, à bord d’un train à vapeur électroniquement simulé ce qui explique les effets sonores de la longue introduction. Il faut un certain temps pour lancer le morceau qui signale le départ du « Bowie Express » vers les destinations étranges et inconnues qui attendent son public.
Le groupe électronique allemand Kraftwerk, qui a remporté un succès international avec le déconcertant Autobahn en 1975, a probablement influencé l’idée de la locomotive.
Tandis que le train va de station en station, le tic-tac d’une pendule apparaît, introduisant les instruments — claviers, guitare, batterie, basse — qui entrent un à un en scène. Il fut dit que les bruits de locomotive étaient une réminiscence du voyage en train que le chanteur fit lorsqu’il refusa de prendre l’avion, entre New York et Los Angeles. On peut également penser qu’ils symbolisent son envie de fuite vers l’Europe. Il s’écoule plusieurs minutes avant que la voix de Bowie n’émerge du brouhaha.
Il chante magnifiquement, et se lance dans une diatribe exultante : « Il est trop tard pour la reconnaissance, trop tard pour la répugnance, tout le canon européen est là. »
À cette époque de sa carrière, Bowie a commencé à étudier avidement la religion, et il est possible que le mot « canon » soit ici compris dans le sens des décrets de l’Église déterminant les pratiques morales et religieuses. « Station » peut également avoir un sens religieux : les stations du chemin de croix, qui sont au nombre de quatorze.
Chaque station représente une étape du chemin parcouru depuis le tribunal de Pilate jusqu’au calvaire. Elles débutent par la condamnation à mort du Christ, se poursuivent par sa crucifixion et s’achèvent dans le sépulcre.
Même si cela ne constitue pas directement une explication littérale de la chanson, Station To Station parle de transformation et de voyage. Après tout, Bowie se prépare à faire le grand saut : du Nouveau Monde vers l’Ancien.
Le morceau change progressivement de vitesse à mi-parcours. Il devient un étrange mélange de guitare rock et de rythmique disco à la George Moroder, dans lequel la bonne vieille guitare rock est tellement à l’opposé de l’euro-beat qu’elle semble jouer dans un autre ton. L’aliénation est de retour ! Le changement se fait également sentir dans l’interprétation vocale de Bowie.
Si la voix est quelque peu en retrait dans le mixage, ce dont il se plaindra plus tard, il reste possible d’apprécier ces étranges tournures de phrase qui laissent entrevoir son état d’esprit et sa condition physique. À un moment, il laisse échapper : « Ce n’est pas un effet secondaire de la cocaïne, je crois que ce doit être l’amour », insistant sur le fait que sa motivation la plus profonde est l’amour plutôt que la drogue. Religion, drogues, amour, célébrité, fortune...
Un cocktail enivrant pour quiconque y touche ! « Je dois dire que je ne comprends pas nécessairement ce dont je parle dans mes compositions, explique Bowie. J’essaie simplement d’assembler des éléments qui m’intéressent ou intriguent, puis de les explorer, et cela devient une chanson. Ceux qui écoutent cette chanson doivent y prendre ce qu’ils peuvent, et voir si les informations qu’ils ont rassemblées correspondent à quoi que ce soit que j’ai pu rassembler. Je ne peux pas dire “Voilà où je veux en venir” parce que je ne le sais pas. »
Bowie est satisfait de Station To Station : « Je l’aime bien, même si j’aurais préféré faire autrement. J’ai accepté un compromis dans le mixage. Je voulais un mixage blanc. Le mixage aurait dû être plat, d’un bout à l’autre, sans écho. Pendant tout l’enregistrement de l’album, je me suis dit que j’allais faire un mixage blanc, et puis j’ai cédé ; je me suis dégonflé, j’ai ajouté ces effets commerciaux. Je regrette de l’avoir fait. Station To Station était comme une supplique faite à moi-même de revenir en Europe. C’était une de ces conversations que l’on a avec soi-même, de temps en temps. »
La chanson-titre semble également faire allusion à la recherche de l’amour vrai, qui a toujours hanté Bowie, comme seul remède à une solitude dévorante. « The thin white duke », si froid, est-il cependant capable d’aimer ? .. Il y a toujours une lumière, toujours de nouvelles montagnes à conquérir ! Les aspirations humaines sont inextinguibles, quoi qu’il advienne.

 

 "Wild is the wind", extrait de "Station to Station"

Il existe une technique vocale qui consiste à tirer la langue et à laisser l’air se propulser depuis le fond de la gorge. La voix très basse et presque lugubre qui en résulte est employée dans ce morceau par Bowie. Avec ses accents du « Johnny Remember Me » de John Leyton, cette modeste petite ballade constitue une fin plutôt surprenante pour un album éminemment étrange. On dirait que Bowie dit adieu à l’Amérique, adieu au rock et adieu aux musiciens qui l’ont si bien servi ces dernières années. C’est d’ailleurs le dernier album qu’il enregistrera en Amérique avant quatre ans.

Composée par Dimitri Tiomkin pour le film éponyme de 1957 — Wild Is The Wind, avec Anthony Quinn et Anna Magnani —, la chanson a d’abord été enregistrée par Johnny Mathis. Le vent en question est la puissance d’inspiration de l’amour qui souffle dans les cœurs. 

Voilà, j'ai été de 1970 à 1976.  J'ai un peu peur de toucher à la trilogie allemande. je vais donc m'arrêter là.
Je me suis fait plaisir, et j'ai essayé de faire faire plaisir également. J'espère que ces morceaux que vous avez découvert vous ont plu.
Laissez éventuellement vos commentaires ci-dessous.

Lien permanent Catégories : Divers

Les commentaires sont fermés.